- MASCULIN-FÉMININ (symbolisme)
- MASCULIN-FÉMININ (symbolisme)MASCULIN-FÉMININ, symbolismeDans l’univers mental humain, toutes les oppositions semblent s’ordonner en fonction du couple masculin-féminin. Celui-ci recouvre aussi bien des oppositions symboliques — telles que lumière-ténèbres, ciel-terre, droite-gauche, etc. — que des oppositions conceptuelles, telles que temps-espace, forme-matière, pair-impair, etc.L’opposition masculin-féminin semble ainsi sous-tendre l’ensemble des relations catégoriales qui forme la structure cognitive d’un système cohérent de connaissance. C’est ainsi, par exemple, que cette opposition constitue le fondement du couple yang-yin de la pensée chinoise, couple que le Yi jing interprète comme créateur-réceptif (traduction de R. Wilhem), et que ce livre articule en un tout formel à partir de l’opposition continu-discontinu. C’est tout autant le couple masculin-féminin qui est à la base du tableau des oppositions enseigné par Pythagore en son école. Là encore, l’opposition de ces deux principes a permis de formuler un système global d’explication de la réalité, en interprétant physiquement ce couple comme plein-vide, limite-illimité, ou, numériquement, comme triade-dyade.D’une façon très générale, il ressort de l’étude comparée des systèmes de pensée dans les différentes cultures humaines que les valeurs masculines sont assimilées à des principes actifs et les valeurs féminines à des principes passifs. Ces principes pourront être par exemple le feu et l’eau, le mobile et l’immobile, le soleil et la lune, etc. Toutefois, si le couple masculin-féminin revêt un tel caractère universel de catégorisation de la réalité connaissable, il faut souligner le caractère seulement relatif des contenus catégoriaux qu’il subsume. C’est ainsi que, pour certaines cultures, l’axe vertical sera symbolisé comme masculin et l’axe horizontal comme féminin, mais cette relation symbolique sera inversée en d’autres cultures. On pourrait ainsi donner maints exemples d’une telle relativité culturelle. Néanmoins, il est tout aussi important de souligner combien cette relativité est elle-même relative. Il semble bien y avoir en effet des valeurs universellement attribuées au masculin et au féminin. C’est le cas, semble-t-il, pour les couples saillant-rentrant, actif-passif, fécondant-nourrissant, expiration-inspiration, donnant-recevant, etc. La pensée symbolique a universellement formalisé cette opposition par un triangle isocèle dont la base est en bas pour le principe masculin et par un triangle isocèle dont la base est en haut pour le principe féminin. C’est probablement là le fondement spéculatif universel de tous les systèmes symboliques.Quoi qu’il en soit de l’universalité des contenus catégoriaux de cette opposition, il faut retenir qu’il s’agit là essentiellement d’un organisateur cognitif puissant et d’un organisateur social décisif.Quelle est l’origine de cette prégnance organisatrice du couple symbolique masculin-féminin sur la pensée humaine? Les réponses possibles sont multiples et ont suscité de nombreuses controverses et polémiques. La réponse la plus immédiate et la plus évidente est de rendre compte de cette universalité à partir du fait organique de la différence sexuelle. Ce serait ainsi le biologique qui formerait le substrat et la cause de l’omniprésence de cette opposition derrière le psychisme. Ce réductionnisme biologique est, par exemple, affirmé et argumenté par la psychanalyse freudienne. Une autre réponse, tout aussi importante dans la pensée contemporaine, est de faire dériver cette opposition, et les systèmes catégoriaux qu’elle subsume, du social et du culturel en général. L’opposition masculin-féminin est comprise alors comme reflétant les relations constitutives d’un système politique de division en classes économiques réparties selon les sexes. Ce serait cette division sociale qui sous-tendrait tous les systèmes symboliques et catégoriaux composant une culture. Ces systèmes idéologiques renforceraient et stabiliseraient les valeurs de dépendance pour la femme et de domination pour l’homme. Cette thèse de l’origine culturelle de la structure d’opposition symbolique masculin-féminin est défendue par de nombreuses écoles de pensée dans les sciences humaines, tel le marxisme. Une autre réponse possible, aujourd’hui considérée comme naïve et anthropomorphe et comme telle dévaluée philosophiquement, consiste à voir en l’opposition masculin-féminin celle de deux principes cosmiques, tout à la fois en conflit et en attirance réciproque, desquels participent toutes les forces contraires du cosmos (matérielles, vitales, sexuelles, psychiques, culturelles, etc.). Dans la pensée occidentale, cette thèse a été soutenue, de façon récurrente, de la philosophie présocratique aux philosophies de la nature. Une réponse apparemment plus abstraite consiste à tenter de rendre compte de cette prégnance symbolique du couple masculin-féminin sur la pensée en ramenant cette opposition aux structures de l’être profond du langage. Ces structures peuvent être interprétées à la lumière de la psychanalyse, comme a tenté de le faire Jacques Lacan, ou bien peuvent être rapportées à une combinatoire proprement sémiotique. Plus philosophiquement, on peut tenter de rendre compte de cette opposition à l’intérieur des structures mentales propres à la pensée catégoriale. Très proche est la thèse structuraliste qui tente de saisir une réalité eidétique derrière une telle opposition, réalité irréductible à tout autre chose que des structures de pensée (l’œuvre de C. Lévi-Strauss est ici particulièrement exemplaire).Il existe bien d’autres hypothèses possibles. Certaines semblent être tombées en désuétude, telle celle qui consiste à comprendre le couple masculin-féminin dans sa réalité théologique. C’est ainsi que, dans la Genèse biblique, il est révélé que la divinité bisexuée a créé l’être humain à son image, c’est-à-dire homme et femme (Genèse, I, 27). D’autres sont fortement marginalisées. Telle semble être la thèse qui fait dériver l’universalité de cette opposition des structures de l’imagination transcendantale et de la connaissance symbolique. Dans la pensée du XXe siècle, cette thèse a été argumentée par des penseurs tels que Mircea Eliade, Gilbert Durand, Henry Corbin et surtout Carl Gustav Jung. Ni proprement naturelle, ni réellement culturelle l’opposition masculin-féminin refléterait une organisation archétypique de la réalité noétique. Ces auteurs reprennent l’idée traditionnelle selon laquelle on ne peut assimiler univoquement principe masculin et homme, principe féminin et femme. L’homme comme la femme sont chacun à la fois féminin et masculin. Selon cette thèse, la dynamique imaginante qui résulte de cette ambivalence explique l’importance primordiale de cette opposition sur l’esprit humain. À la limite, on pourrait alors soutenir que cette dynamique n’est autre que celle de l’esprit humain. L’intérêt de cette thèse est de permettre d’intégrer les différentes hypothèses plausibles évoquées plus haut dans une unité explicative plus large, sans perdre la valeur propre de chacune, mais en leur faisant correspondre différents «visages» de cette opposition archétypique — tels que mère-père, géniteur-génitrice, mâle-femelle, anima-animus, homme-femme, idéal féminin-idéal masculin, dieu-déesse, époux-épouse, frère-sœur, etc.La thèse d’un fondement archétypique expliquerait pourquoi, sur le plan de la connaissance symbolique, l’opposition masculin-féminin semble universellement porter une valeur de gnose. Celle-ci est attestée aussi bien par l’alchimie («Fais de l’homme et de la femme un cercle rond, et extrais-en un carré, et du carré un triangle. Fais-en un cercle rond, et tu auras la pierre philosophale», in Rosarium philosophicum ) que par la littérature apocryphe («Et lorsque vous ferez de l’homme et de la femme une seule chose, en sorte que l’homme ne soit pas homme et que la femme ne soit pas femme [...], alors vous entrerez dans le Royaume», in Évangile de Thomas ). Cette dimension de gnose de l’opposition masculin-féminin est l’un des éléments les plus centraux des rites initiatiques, des religions à mystères, des savoirs ésotériques. C’est par elle que cette opposition constitue comme le foyer spéculatif de l’ensemble des processus symboliques qui sous-tendent les phénomènes d’individuation psychiques.
Encyclopédie Universelle. 2012.